articles de La Croix du 22 avril 2024
“En soins palliatifs, de si précieux bénévoles”
Aux côtés des professionnels de santé, près de 6 000 bénévoles accompagnent chaque jour des personnes en fin de vie.
Un engagement méconnu et porteur de sens, que le gouvernement souhaite développer.
Chaque jeudi après-midi, Christèle Dumas-Gonnet se rend dans le service de neuro-oncologie de l’hôpital Pierre-Wertheimer de Lyon, où sont prises en charge les personnes atteintes d’un cancer du cerveau. L’espérance de vie moyenne y est de neuf mois. À son arrivée, l’équipe de soins lui confie les noms de patients à qui elle pourrait rendre visite. La bénévole s’y présente, demande si elle peut s’asseoir, puis reste dans la chambre aussi longtemps que nécessaire. « Je n’apporte ni piqûre, ni jugement. Je ne viens pas occuper le patient, confie-t-elle. Je suis juste une présence. »
Comme elle, ils sont près de 6 000 bénévoles partout en France à consacrer une demi-journée par semaine à l’accompagnement de personnes en fin de vie, en unité de soins palliatifs, à l’hôpital, à domicile, ou plus rarement en Ehpad. Un nombre que la ministre de la santé Catherine Vautrin a annoncé, début avril, vouloir doubler d’ici à dix ans, dans le cadre de la stratégie décennale destinée à renforcer les soins palliatifs.
Unique bénévolat présent dans le code de la santé publique, l’accompagnement de la fin de vie implique le respect d’obligations définies par la loi de 1999 sur les soins palliatifs. Le bénévole est soumis au secret professionnel et n’a aucune prérogative médicale. Il doit également suivre une formation de plusieurs jours à l’écoute active et au cadre légal, puis participer à un groupe de parole mensuel avec d’autres bénévoles, sous la supervision d’un psychologue.
« Nous ne sommes ni des soignants, ni des proches, résume Sandrine, bénévole en unité de soins palliatifs dans la Drôme, pour qualifier cet engagement souvent méconnu du grand public et des patients eux-mêmes. Les malades n’osent parfois pas prendre leur temps avec les médecins, ou parler de leurs angoisses avec leurs proches. Avec nous, ils peuvent se confier, ou choisir de ne pas le faire. »
Une fois dans la chambre, Sandrine demande systématiquement l’autorisation du patient ou de la famille. L’une des difficultés est de « sentir les oui qui veulent dire non, et les non qui veulent dire oui ». La quinquagénaire se souvient par exemple d’une visite auprès d’un homme d’un certain âge, très en colère, qui se plaignait du nombre de personnes ayant défilé dans sa chambre, du médecin au psychologue, en passant par l’aumônier. « Je lui ai posé des questions sur ces visites. Pourquoi le psychologue est-il venu ? Que vous a-t-il dit ? Et plus il parlait, plus sa colère diminuait. Il a fini par me remercier avec un grand sourire. Il avait juste besoin d’être écouté. » À l’inverse, certaines personnes n’osent pas dire non, par politesse, alors qu’elles préféreraient se reposer. Parfois, Sandrine se fait « éjecter » d’une chambre. « Ça nous apprend l’humilité », admet-elle avec recul.
D’une semaine à l’autre, si le patient qu’elle a visité n’est plus dans le service, elle ne demande jamais où il se trouve. Une manière de ne pas s’attacher, pour se protéger. « Savoir s’ils sont décédés ou s’ils ont simplement changé de service ne changerait rien, reconnaît-elle. Je ne veux pas charger mes valises avec ceux qui sont partis. » Quand la valise devient un peu trop lourde, Sandrine sait qu’elle peut compter sur son groupe de parole, au sein duquel elle s’est fait des amies.
Savoir gérer la distance, c’est l’enjeu du processus de sélection par lequel les formateurs creusent les motivations et les fragilités qui pourraient nuire tant aux patients qu’aux candidats eux-mêmes. Ces derniers ont des profils très divers. Ils sont étudiants, actifs ou retraités, âgés de 25 à 75 ans. La seule distinction notable est la proportion de femmes dans leurs rangs. Beaucoup s’engagent après avoir accompagné un proche en fin de vie ou, à l’inverse, vécu un deuil brutal. C’est le cas de Véronique Comolet, bénévole à la maison Jeanne-Garnier à Paris. « J’ai voulu voir comment c’était de prendre le temps de dire au revoir », témoigne celle qui s’est engagée il y a maintenant seize ans.
Catholique pratiquante, elle inscrit aussi cet engagement dans sa foi. « Lorsque les personnes partent, je me dis toujours que le Christ est quelque part, à côté. » Elle veille toutefois à ne « jamais lancer le sujet » elle-même, pour respecter le cadre laïque de cet engagement. Bien que de nombreux catholiques soient investis dans les soins palliatifs, Véronique Comolet estime qu’ils ne sont pas plus représentés dans ce bénévolat que dans d’autres – les personnes en recherche d’accompagnement spirituel se tournent davantage vers les aumôneries.
Les bénévoles d’accompagnement de la fin de vie sont tout de même nombreux à exprimer leurs questionnements, souvent empreints de spiritualité. « Depuis la pandémie de Covid-19, de plus en plus de jeunes actifs s’engagent en espérant trouver un surcroît de sens qu’ils ne trouvent pas toujours dans leur activité professionnelle », souligne le sociologue Tanguy Chatel, lui-même bénévole en soins palliatifs par le passé et désormais formateur. Marine Monot, engagée depuis janvier dernier à Notre-Dame du Lac, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), affirme être « à la recherche d’échanges dénués de certains filtres. Au contact des patients en fin de vie, on est dans une forme d’essentiel, on va droit au but ».
Malgré la proximité de son engagement avec la mort, la trentenaire insiste ainsi sur l’incroyable vitalité qui émane de ces échanges : « J’ai rarement ressenti des moments aussi vivants. » « Quand je sors des soins palliatifs, je ne suis jamais abattue, confirme Sandrine. Au contraire, je suis heureuse parce que je suis en pleine forme. Ça me rappelle à quel point la vie est précieuse. » Tanguy Chatel le reconnaît, cet engagement nourrit autant le patient que le bénévole. « Ils savent ce qu’ils reçoivent, même s’ils ont plus de mal à savoir ce qu’ils apportent, analyse le formateur. Et c’est une bonne chose : sinon, ils ne pourraient pas continuer. »
Ils sont nombreux à avoir été bousculés par le projet de loi sur la fin de vie, qui prévoit l’accès à une « aide à mourir » pour des malades selon certaines conditions. Leur inquiétude est à la hauteur de l’intensité de leur engagement, mais s’exprime discrètement. « Ils ne sont pas spontanément portés à se mettre en avant, observe Erwan Le Morhedec, auteur d’un ouvrage sur les soins palliatifs et lui-même bénévole, activement engagé contre le projet de loi. Le rôle de bénévole suscite plutôt l’inverse. Ils ont pris l’habitude de ne pas débattre, aussi par respect de la volonté du patient. »
Comme beaucoup d’entre eux, Véronique Comolet n’a jusqu’ici jamais été confrontée à une demande de mort. Si le projet de loi venait à être adopté, elle ne sait pas comment elle réagirait à la présence d’une personne ayant sollicité une injection létale. « Mais je suis là pour accompagner tout le monde », affirme-t-elle. Marine Monot assure qu’elle continuera à sensibiliser à la culture palliative. « La fin de vie et la mort appartiennent à chacun, mais l’accès aux soins palliatifs est un droit pour tous. »
Juliette Paquier
“De nombreuses personnes sont prêtes à s’engager”
Entretien avec Olivier de Margerie Président de la Fédération Nationale de Jalmalv
Olivier de Margerie salue l’objectif du gouvernement de doubler le nombre de bénévoles en soins palliatifs, mais il rappelle qu’il faudra augmenter les financements destinés à leur formation.
Quel tableau dressez-vous de la présence sur le territoire des bénévoles pour l’accompagnement de la fin de vie ?
Olivier de Margerie : Il n’y a pas assez de bénévoles aujourd’hui pour répondre à toutes les demandes des établissements médicalisés. L’interdiction de visite dans les établissements de soins durant la crise du Covid-19 a accéléré le départ de bénévoles vieillissants et nous avons perdu environ 20 % de nos effectifs. Mais contrairement aux unités de soins palliatifs, les quelque 320 associations de bénévoles d’accompagnement de la fin de vie couvrent le territoire de manière extrêmement homogène (1). Certaines, plus petites ou plus anciennes, peinent toutefois à trouver des présidents ou des trésoriers prêts à reprendre la main.
Selon vous, l’objectif du gouvernement de doubler le nombre de bénévoles d’ici à 2034 est-il atteignable ?
O. de M. : Cet objectif est ambitieux, mais nécessaire. Il figurait d’ailleurs dans le rapport sur les soins palliatifs remis par le professeur Franck Chauvin en décembre dernier à la ministre d’alors, Agnès Firmin Le Bodo. D’une part, les associations d’accompagnement sont en mesure d’augmenter le nombre de bénévoles formés et sont désireuses de le faire. D’autre part, de nombreuses personnes issues de la société civile font part de leur envie de s’engager. La crise du Covid a créé une prise de conscience assez dramatique : beaucoup de gens meurent isolés. Ce constat a nourri l’envie de s’investir auprès de personnes en fin de vie, comme le montre l’opération de sensibilisation menée par Jalmalv depuis quatre ans. De nombreux répondants au questionnaire que nous avons diffusé reconnaissent être prêts à s’engager.
Le recrutement de ces nouveaux bénévoles coûte toutefois de l’argent : leur formation dure cinq ou six jours, répartis sur plusieurs mois, et comprend ensuite une supervision par des psychologues. Aujourd’hui, le gouvernement finance cette formation à hauteur de 50 %. Pour atteindre l’objectif de doubler le nombre de bénévoles d’ici à dix ans, le ministère de la santé devra augmenter sa participation financière dans la formation. Est-ce prévu dans le cadre de l’investissement supplémentaire dans les soins palliatifs envisagé par la stratégie décennale ? Et d’ailleurs, compte tenu du contexte, cet effort budgétaire va-t-il vraiment se traduire dans les faits ?
Comment concrètement recruter davantage de bénévoles ?
O. de M. : Il y a un effort de communication à faire pour expliquer à la société en quoi consiste ce rôle très particulier de bénévoles neutres et laïcs, qui assurent de la présence et de l’écoute auprès de personnes en fin de vie. Le réservoir social n’est pas épuisé. D’autant que, pour s’adapter au profil des nouveaux bénévoles qui sont souvent de jeunes actifs, les associations parviennent à proposer des formules d’engagement plus souples. Certaines permettent par exemple, à ceux qui le souhaitent, des créneaux de bénévolat en fin de journée, après la sortie du travail, ou répartis sur deux journées. Ce n’est donc pas un engagement réservé aux retraités.
Recueilli par Juliette Paquier
(1) Sur les 320, 140 sont regroupées au sein des fédérations Jalmalv, Être là et Alliance, et 180 sont indépendantes.